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La coupe et l'épée

Je ne vous l’apprend plus, si je suis tombée dans le chaudron magique, c’est par Avalon et la légende arthurienne que tout a commencé. À l’époque, c’était quelque chose que je n’assumais pas du tout car j’avais peur que la nature « littéraire » de cette légende vienne m’ôter toute légitimé ou sérieux aux yeux des autres. Ce n’est qu’après des années de cheminement, mais aussi d’ancrage et de prise de confiance, que j’ai enfin pu revenir sur ces terres brumeuses en toute sérénité.


Alors, que penser des voies spirituelles et ésotériques que certains pourraient qualifier de « fictives » car s’appuyant sur des contes, légendes, romans… ? Et que répondre à des personnes qui souhaitent les décrédibiliser ? Je vous donne mon avis sur la question, notamment par l’exemple du légendaire arthurien, que j’ai longuement exploré.


Première étape : remettre l’église au centre du village. Qu’est-ce qu’une fiction ? Et qui décide ce qui en est ou non ? Sur quels critères ? Il faut garder à l’esprit que tout cela est extrêmement subjectif et va dépendre des croyances de chacun. Une personne athée, monothéiste, polythéiste ou encore agnostique se positionnera différemment de l’autre.


Personnellement, j’accorde sans trop de résistance le fait que la légende arthurienne relève d’un corpus littéraire, cependant, je reste intraitable sur le fait que celui-ci repose en quasi-totalité (pour les textes premiers) sur un substrat mythologique profond et ancien (brittonique-gallois dans ce cas, avec une forte emphase sur les entités féériques). C’est ce substrat qui a inspiré les auteurs du Moyen-Âge, et c’est ce substrat qui continue de vivre à travers ces œuvres, quand bien même il a évolué sous la plume des auteurs. Comme tout folklore évolue avec les peuples au fil du temps.


D’autre part, je suis assez catégorique sur le fait que les artistes possèdent un canal d’inspiration assez « drivé », peu importe leur médium d’expression. C’est quelque chose qui est flagrant dans le domaine de la poésie ou bien dans des œuvres comme celles de Tolkien. Il est intéressant aussi de se pencher sur la question de l’imaginal et de la communication de l’autre monde vers le notre via les symboles et l’évocation. Je pense que beaucoup d’artistes captent des fragments de l’autre monde, parfois sans même s’en rendre compte, et les traduisent dans leurs œuvres. C’est notamment pour cela qu’ils sont si importants pour notre société. Je pense que c’est le cas pour la légende arthurienne, et c’est aussi pour cette raison qu’il n’existe pas de temps linéaire au sein de ces œuvres. Il s’agit d’un temps mythique.


Si certaines mythologies et folklores se sont perdus pour ne subsister que sous forme de contes ou de légendes, c’est aussi en reflet des enjeux politiques et religieux de l’époque. Là où le monothéisme s’imposait et où la Bible reflétait désormais l’Histoire, il n’y avait plus de place pour ces autres mythes et croyances. Alors, peu à peu, le légendaire arthurien s’est « humanisé ». Les personnages merveilleux ne devenant que de simples humains, les us et coutumes de nos anciens envers l’autre monde balayé de l’histoire et relayé au rang de fantaisie récréative. En même temps qu’il s’humanisait, il se dualisait autour des représentations du bien et du mal, au point de réécrire certains personnages. Mais c’est un autre sujet...


« Il existe de nombreuses façons de combattre une histoire. On peut consciemment combattre l'intégrité mythique d'une chose en la persécutant et en en faisant l'ennemi de son propre récit, comme ce fut le cas pour la sorcellerie par le passé. Ou bien, on peut mener une guerre plus discrète et insidieuse contre une chose en la rendant ridicule. En l'infantilisant. On peut lentement l'étrangler de sa force vitale simplement en refusant systématiquement de la comprendre. L'histoire des Fées, du moins dans l'esprit des gens, a été la cible de cette réécriture inconsciente, d'une ampleur encore plus dévastatrice que la figure de la Sorcière. »

— Lee Morgan, Sounds of Infinity


Honnêtement, cette idée est ma Némésis du moment. La croyance, inconsciente et bien trop répandue, qui murmure que nos croyances, pratiques et entités indigènes, propres à nos territoires, sont « fictives » là où l'Église est réelle et historique. Dans l’une de mes lectures à propos du Graal, j’ai bondi en lisant les mots de l'autrice : « l’auteur de l’Élucidation renoue ici explicitement avec la tradition et la transmission orales du conte et revendique pour l’ensemble de la narration une tonalité merveilleuse, bretonne, et donc, inconditionnellement fictive. » Elle continue ensuite en opposant le Graal féérique originel mais fictif, au « vrai » Graal historique et chrétien.


Pour replacer le contexte, le motif du Graal chrétien dans la légende arthurienne est un motif plus tardif et tire son inspiration d’un Graal indigène, même s’il n’est pas nommé ainsi. L’intégration de ce motif à ce légendaire se comprend, mais il n’est pas acceptable de désavouer son origine, en moquant au passage les croyances indigènes. Surtout quand le christianisme ne l’est pas… Ce n’est pas le sujet ici, mais un débat autour d’une potentielle colonisation des croyances indigènes de nos territoires pourrait être intéressant.


Au final, qu’il s’agisse d’une survivance volontaire de la part des auteurs-artistes ou non, ces mythes et croyances ont survécu et restent accessibles via ces fameuses légendes, ces contes, ces fictions. Quand bien même il faut user d’un certain discernement pour naviguer à travers ces récits brumeux, les esprits sont toujours là, et personne n’a le pouvoir de leur retirer leur place dans notre monde, visible et invisible.


Ces contes et légendes sont des reliques, des offrandes de l’autre monde pour ne pas oublier leur existence, leur histoire, ni comment relationner avec eux. C’est quelque chose de précieux qu’il est important d’honorer, et si certains préfèrent s’en moquer, ce ne sera qu’à la hauteur de leur pauvreté d’esprit.


Ces fictions sont notre héritage.

Un héritage initiateur, incantatoire, immortel.

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