Le fil et la source
- Eryn Lyblace
- 30 juin
- 3 min de lecture
Il y a quelque chose dont j’ai longtemps hésité à parler. Parce que c’est subtil, sensible, et que ça touche directement à ma manière d’être au monde. Mais je le ressens de plus en plus fort, et je sais que je ne suis pas seule à le vivre : la douleur de voir ses partages, ses mots, ses élans, repris ailleurs… sans qu’on ne soit jamais nommé. Je ne parle pas d’un « vol d’idée » au sens strict. Je parle de cette sensation très particulière, presque viscérale, que quelque chose qu’on a mis au monde avec tout son cœur, toute sa chair, se retrouve soudain repris ailleurs, redit, parfois même mieux formulé… mais sans jamais faire mention de nous. Et ça, pour être honnête, ça fait mal.
Pas parce que je veux garder mes idées pour moi. Pas parce que je crois être la seule à ressentir ou formuler certaines choses. Mais parce que je mets de moi dans ce que je partage. Parce que ce que j’exprime vient souvent d’un long processus intérieur. Parce derrière, il y a une histoire. Alors quand je vois cette parole reprise sans crédit, ça crée une forme de déchirure. Pas d’ego, mais d’identité. Comme si ma voix était utilisée, mais qu’on avait oublié mon souffle. Comme si ma présence était là, sans que je sois invitée. Comme si mes mots étaient assez intéressants pour être adoptés, mais pas mon nom, ma personne. Et je me sens dépossédée. Invisible.
Je sais que beaucoup de gens ne le font pas par malveillance. C’est même souvent inconscient. Je sais que parfois, les inspirations se croisent, les chemins se ressemblent. Et c’est normal. Je crois profondément que nous sommes tous traversés par des élans semblables. Que l’invisible souffle parfois les mêmes mots à plusieurs cœurs à la fois. Qu’on explore souvent les mêmes sentiers quand on marche ensemble sur des terrains subtils. Mais ce que je ressens, moi, dans ces moments-là, c’est une grande solitude. Et une peur de m’effacer. De devenir floue. Remplaçable. Silencieuse.
Alors j’ai besoin de le dire, sans animosité : quand on s’inspire de quelqu’un, le reconnaître est un acte profondément éthique. Un acte de lien. Un acte de soin. C’est dire : je t’ai entendu. Ton feu a nourri le mien. Merci. Et rien que ça, ça change tout. Ça rend visible. Ça guérit. Et ça tisse des chemins justes, où chacun peut exister sans avoir à se battre pour sa place. C’est le plus beau des cadeaux envers quiconque transmet.
Transmettre fait partie de ma nature. Partager ce que je vis, ce que j’apprends, ce que je découvre… c’est un geste que je pose avec le cœur grand ouvert. Je le fais parce que j’y crois. Parce que j’ai foi en la puissance des liens, des mots, des résonances entre les êtres. Parce que je veux que ça circule, que ça nourrisse, que ça transforme. Alors oui, je suis heureuse d’inspirer, je suis heureuse quand cela touche, questionne, ouvre une voie.
Mais me citer quand je vous ai inspiré, ce n’est pas une question de propriété. Ce n’est pas revendiquer un territoire, ni poser des barrières autour du sacré, des idées. C’est simplement reconnaître qu’il y a eu un travail. Une présence. Une offrande. Même si les idées flottent librement, même si les intuitions sont partagées par beaucoup, il y a eu un geste, un souffle, une forme que j’ai donnée à tout cela. Et ce geste-là, il m’appartient. Ce n’est pas du gatekeeping. C’est une manière de dire : je te vois, je sais que tu m’as nourri, et je rends cette nourriture visible.
Citer, c’est tisser.
C’est poser un fil entre les voix, plutôt que les faire se superposer jusqu’à l’effacement.
Les vraies transmissions ne copient pas : elles honorent. Elles tissent.
Elles rendent visible la source.
Et ça, c’est beau.
C’est juste.
Et c’est ce qui donne envie de continuer.
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