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Journal d’une hedgerider

Au fil de mes partages, je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises de l’hedgeriding : qu’est-ce que c’est, comment cela fonctionne, qu’est-ce qu’une hedgerider, etc. Des partages informatifs sur le fond de ces cheminements et pratiques. Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler un peu plus personnellement de mon expérience en tant qu’hedgerider, au-delà du glamour, et de vous proposer un constat de ma vie et de mon quotidien au terme de neuf années en tant qu’hedgerider.

 Être hedgerider au quotidien c’est… Vivre entre les mondes


- ne jamais appartenir totalement à un monde ou à l’autre. C’est vivre dans un entre-deux permanent, assez présente pour participer au monde humain, mais toujours en décalage, avec une partie de moi qui reste ailleurs quoi qu’il arrive. Nulle part je ne me sens tout à fait « chez moi », et pourtant c’est ce seuil-là qui est devenu ma maison.


- vivre avec un décalage constant vis-à-vis du monde humain, parfois même dans les sphères ésotériques. Le monde parle de politique, de carrière, de célébrités, d’exploitation ; et moi je suis là, à ressentir comment un lieu respire, si les esprits y sont agités, si une plante veut ou non qu’on la cueille. Là où on me parle de rentabilité, je pense en termes de réciprocité. Là où on m’invite à consommer, j’entends un appel à prendre soin. Cela sonne bizarre aux oreilles des autres, mais je ne sais pas fonctionner autrement.


- porter en soi une nostalgie de l’autre monde. C’est comme une mémoire d’une vie plus fluide, plus reliée, plus proche de qui je suis, mais que je n’ai pourtant jamais vraiment vécu. Certains soirs, cette nostalgie me serre la poitrine : je suis là, mais j’ai le cœur tourné vers un « ailleurs » qui m’échappe et m’attire. Elle ne disparaît jamais tout à fait, et colore mes jours comme une douce mélancolie. Cette douleur d’un temps et d’un ailleurs jamais vécu, mais bien réel. Pas une douce rêverie, mais un manque qui gratte, qui rend les jours parfois creux. Un rappel qu’il existe d’autres manières de vivre, et que celle-ci n’est pas complète.


Être au-delà de soi


- accepter de devoir revivre leurs histoires, marcher dans leur pas, traverser ce qu’ils ont traversé, et parfois même adopter certains de leurs traits de caractère les plus significatifs à leur nature. Tout cela pour être en mesure, au final, de comprendre ces esprits et d’agir avec justesse.


- devenir la porte-voix de présences qui passent à travers moi. Ce n’est pas toujours confortable : leurs humeurs, leurs exigences, leurs colères peuvent teinter ma manière d’agir ou de parler. Les esprits parlent, se glissent dans mes pensées, m’imprègnent parfois si fort que je ne sais plus où je commence et où je finis. Ce n’est pas vraiment une perte de moi-même, mais plutôt une expansion. Dans ma chair, leurs volontés se traduisent en intuitions, en élans qui guident mes choix, mes projets. J’ai appris à reconnaître quand une pensée n’est pas la mienne, quand une émotion s’impose de l’extérieur. Mais ça reste un tissage serré : je ne suis jamais « que moi », mais un mélange d’histoires, de présences, de mémoires.


- vivre liée par des promesses faites à l’invisible. Des alliances ont été faites, des engagements murmurés, et je les porte au quotidien comme on porterait un anneau invisible autour du doigt. Cela détermine mes pas, oriente mes décisions, parfois contre la logique ou le confort humain. Ce sont des renoncements que j’accepte parce qu’une promesse plus vaste m’attache. Ces serments, personne ne les voit, mais ils sont plus solides que n’importe quel contrat écrit.


Être appelée à chaque instant


- sentir mon esprit s’échapper dès que je conduis. La route devient un ruban de seuil, et dans ce flottement, les messages affluent : images, sensations, mots soufflés à l’oreille. C’est pratique parfois, dangereux aussi. Je reviens souvent de ces trajets avec le sentiment d’avoir voyagé bien plus loin que ce que disent les kilomètres. Ce décollage m’accompagne aussi dans des moments banals : je parle à quelqu’un et, tout à coup, mon esprit dérive au-delà, happé par une vision.


- être en état d’attention quasi permanente. Les appels ne viennent pas toujours sous la forme de grands éclats, mais aussi de signaux plus subtils, de détails qui pourraient passer inaperçus. Rester disponible, c’est accepter que l’invisible peut se glisser dans une brise, un bruit familier, une intuition soudaine. C’est une vigilance qui sculpte mes journées et mes nuits, qui réclame de moi une grande discipline énergétique et une hygiène de repos différente. Ça épuise parfois, mais ça affine aussi mes perceptions, ça me rend plus lucide, plus aiguisée.


- percevoir constamment, avant même de comprendre. Mon corps devance ma conscience : frissons, respiration qui se bloque, gorge serrée, tension dans les muscles. Je sais avant de savoir. Mon corps est devenu mon premier outil de perception, et il n’a pas de bouton « off ».


- gérer la double écoute en permanence : les mots que les gens prononcent, et ce qui se joue derrière. Quand on me parle, j’entends les mots, mais aussi les non-dits, les failles, les vérités qui affleurent derrière. C’est précieux quand on veut comprendre les choses en profondeur, mais ça rend aussi impossible de faire semblant. Je vois trop clair, même quand je préférerais détourner le regard. Je ne peux fermer l’oreille à ce qui résonne, même si parfois j’aimerais. C’est voir trop, entendre trop, ressentir trop, et naviguer avec ça. Ce don, ce fardeau.


Payer le prix du seuil


- porter une fatigue constante, comme si mon corps menait deux vies à la fois. Les nuits ne suffisent pas à recharger, car une part de moi reste là-bas, occupée, à l’écoute. Cette fatigue se traduit en douleurs, en fragilités, en un corps qui peine à suivre le rythme imposé par ce lien aux seuils. J’ai appris à vivre avec, mais c’est un réel prix.


- garder des cicatrices invisibles. Des morceaux de moi sont restés de l’autre côté au fil de mes voyages. Je n’ai pas mon mot à dire sur ce que je vois ni sur combien ça m’impacte. Certaines visions collent à la peau, certaines rencontres marquent pour toujours. Ce n’est pas une pratique qui se range dans un tiroir quand on en a marre. Rien n’est plus simple, léger.


- avoir besoin de silence et de solitude. Non pas pour fuir les autres, mais parce que mon corps et mon esprit n’arrivent pas à se ressourcer autrement. Ces espaces sont vitaux pour reconstituer mes forces. Pourtant, ce besoin de retrait pèse sur ma vie sociale, creuse des distances que peu comprennent.


Vivre avec la complicité du vivant et de l’invisible


- parler aux plantes, aux pierres, aux animaux comme à des compagnons de route. Leur adresser des mots, des gestes, des confidences. Et recevoir, en retour, une écoute bien plus tangible que celle de beaucoup d’humains. Ce dialogue incessant nourrit mon quotidien.


- goûter aux rencontres heureuses, ces synchronicités qui tombent juste au bon moment. Un objet trouvé, un animal qui apparaît, une parole entendue par hasard : autant de clins d’œil qui rappellent que je ne marche jamais seule. L’autre monde se manifeste parfois avec humour, parfois avec tendresse, et ces « hasards » sont autant de preuves que les esprits sont toujours là. Je chérie ces instants où je sais que je ne marche pas seule, et que même quand tout semble dur, le seuil répond.


Enfin, c’est accepter la couleur que l’autre monde nous donne, peu importe qu’elle corresponde à notre souhait ou non. Chaque hedgerider est unique et pratique selon les éléments que l’autre monde lui a conféré : une porte (par quelle voie accéder à l’invisible), et une clef (domaine particulièrement sensible et efficace pour la reliance et connaissance des esprits). Ma porte est celle des plantes, du génie végétal. Ma clef, est celle de la douleur. La douleur de l’oubli, de la trahison, de l’abandon, du rejet, de l’incompréhension, de la peur, de la solitude, de l’impuissance, de la colère…


J’ai voulu partager ici l’envers du décor, au-delà des images séduisantes qu’on pourrait projeter, afin que chaque personne appelée par cette voie sache où elle met les pieds. Être hedgerider, c’est porter à la fois fardeaux et merveilles. C’est un chemin d’équilibre qui demande autant qu’il offre, où le difficile et le précieux sont indissociables.


Être hedgerider, ce n’est pas seulement traverser la nuit.
C’est vivre chaque jour un peu de travers.


Être hedgerider, n’est pas un titre.

C’est avant tout une manière de se tenir : un pied dans le visible, un pied dans l’invisible, à cheval sur la haie. C’est marcher dans l’ici et l’ailleurs d’un même pas.
C’est apprendre à aimer ce vertige-là.

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