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Le Solandra, calice d’or

Le Solandra appartient à ces esprits rares qui ne se livrent qu’aux pratiquants aguerris, non en termes de mérite ou d’élite, mais de cheminement, de dévotion. Plante de reliance, elle n’offre pas seulement un accès à l’autre monde, elle façonne ceux qui la servent autant qu’elle les élève, leur offrant en retour le pouvoir de voir, d’entendre, de parler l’indicible. Elle ne répond pas à l’appel des impatients, mais à ceux qui comprennent que recevoir implique de donner en retour.


Sa nature de liane traduit son rôle fondamental : elle lie, elle enserre, elle connecte. Le vol qu’elle offre n’est pas une fuite solitaire mais une traversée maîtrisée, tissée dans l’interaction avec les esprits. Fleur-coupe, elle incarne le passage de la réceptivité passive à l’action délibérée. Elle apprend au voyageur à recevoir la révélation, puis à la transmettre : boire, puis répandre. Servir l’autre monde autant qu’en être inspiré. Son souffle ne se limite pas au voyage : il féconde l’esprit, insuffle la créativité et ouvre la voix/voie à ceux qui cherchent l’inspiration. Chanteurs, conteurs, artisans de l’invisible, le Solandra nourrit les visions et enflamme l’expression, reliant le créateur à ce souffle sacré qui traverse et enchante les mondes.


Loin d’être une plante de divagation, elle structure et canalise. Son lien aux peuples indigènes du Mexique et d’Amérique centrale le prouve : chez les Huichol, elle est associée à la souveraineté magique et au pouvoir des shamans, des sorciers. Seuls ceux ayant déjà atteint un certain degré d’initiation (c’est-à-dire après cinq longues années de formation) sont autorisés à travailler avec elle. La tradition exige des offrandes avant toute interaction, marquant l’importance du respect et de l’échange. Ce n’est pas une plante que l’on consomme sans discernement, mais un esprit qui s’invoque dans un cadre précis, avec rigueur et engagement.


Le Solandra incarne le point de rencontre entre le feu et l’eau : né du soleil qui embrase ses corolles et nourrie par la pluie qui s’accumule en son sein et révèle sa nature de calice, il incarne l’équilibre et la sagesse des forces contraires, lieu de naissance des brumes, de la liminalité. Son essence est celle du vent : messagère, porteuse de visions, souffle qui soulève et transporte. Le Solandra n’est pas une simple plante : elle est une métamorphose, la rémanence d’une divinité qui s’est faite offrande. Il rappelle la nature divine des esprits de sève. Kiéli, né de l’étreinte du serpent cosmique et de la pluie, s’est transfiguré en liane vivante, liant les souffles d’en-haut et d’en-bas. Cet esprit du vent et de la magie dans la tradition huichole, a choisi de se manifester sous la forme de cette plante, attestant de sa fonction première : ouvrir l’accès aux vérités cachées. Kauyumari, le shaman, sous forme de cerf, s’en nourrit pour entendre les légendes du passé et maîtriser l’art de la guérison.


L’ingestion rituelle de sa fleur par les Huastec à des fins divinatoires, ainsi que l’eau recueillie et appliquée sur les yeux pour permettre la seconde vue et les visions, évoquent son pouvoir de révélation. L’esprit du Solandra ne se contente pas d’emmener : il éclaire. Il ne se contente pas d’exposer : il exige du praticien qu’il prenne sa place, qu’il assume la responsabilité du savoir reçu. Mais les offrandes lui sont essentielles. Tabac, chants, perles, bijoux, art, prières, elle veut être honorée avant d’être effleurée. Car le Solandra n’accorde ni la souveraineté ni le vol à qui demeure passif. Boire sa coupe, c’est prendre en main le service sacré, passer du réceptacle au don, de la quête solitaire au service communautaire. Marcher aux côtés de l’esprit du Solandra, c’est incarner la main de l’autre monde.


Travailler avec l’esprit du Solandra revient à s’engager dans un pacte. Il enseigne que le voyage dans l’autre monde ne peut être une simple errance, mais un acte souverain et engagé. À celui qui sait le servir, il accorde le vol. Mais ce vol n’est ni hallucinatoire ni gratuit : il est le fruit d’une initiation, d’une progression où chaque étape doit être méritée et honorée. Sous son souffle, le voyageur n’est plus un simple visiteur : il devient porteur de coupe, un trait d’union entre ici et là-bas. Le Solandra est le vent qui élève et la racine qui ancre. Le Solandra est le secret qui s’ouvre dans la nuit, une porte entrebâillée où ne s’aventurent que ceux qui savent donner autant que recevoir.

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